Co-creation referentiel

De documentation.
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Sommaire

LE PROCESSUS DE CO-CREATION ET SON REFERENTIEL DE COMPETENCES

Tentative de définition

L'étape de création dans une démarche artistique est centrale et en constitue le socle. Pour schématiser, elle s'insère dans un processus non-linéaire et très souvent itératif incluant les premières étapes de conception (émergence et formalisation d'une idée, d'une intention) et de documentation (confrontation et enrichissement du concept), puis celles de production (moyens, ressources à mettre en œuvre pour produire effectivement la création) et de diffusion (rendre accessible l’œuvre au public).

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Le présent document interrogera les modalités du collectif dans l'étape de création uniquement. Il est intéressant de noter que le terme de co-création a émergé dans le domaine du marketing et a notamment été formalisé comme suit par Piller, Ihl et Vossen en 2010 : “La co-création est un processus actif, créatif et social, fondé sur la collaboration entre les marques et les utilisateurs, et qui est initiée par la marque à l’attention de ses utilisateurs.”

Appliquée au domaine des arts, cette définition pourrait donc être retranscrite ainsi : « La co-création est un processus actif, créatif et social, fondé sur la collaboration entre les artistes et leurs publics et qui est initié par l'artiste à l'attention de ses publics et diverses parties prenantes (techniciens, mécènes, institutions publiques etc.). »

Si d'un point de vue marketing, la motivation qui pousse à co-créer est évidente : vendre plus, on peut légitimement questionner l'intérêt d'une co-création artistique. Pourquoi associer diverses parties prenantes à un processus co-créatif ? Comment le jeu en commun se dépasse-t-il vers la création d'une œuvre ? Comment les personnes parviennent-elles à dominer leur quant-à-soi en faveur de l'ouvrage commun ? Que signifie « associer » ? Quels seraient les différents niveaux de participation ? Pour quelle finalité à chaque fois ? Art collectif vs travail collaboratif ?

D'un point de vue pédagogique, et pour aller plus loin, comment parvenir à faire émerger le meilleur des étudiants pour une création collective plus valorisante que la somme des contributions individuelles, création que personne ne cherchera plus à identifier ni mettre en avant ? Une création peut-elle vraiment être individuelle ? …

Quelques éléments de contexte sur l'évolution de la création…

Aujourd’hui la compétence est devenue collective, on n’est plus compétent tout seul.

Norbert Alter, sociologue et professeur à l'université de Paris Dauphine

Avant Après

Ce qu’est un artiste

Un poste

Un rôle

Ce que couvre la notion d'artiste

Un savoir-faire (sculpture, gravure, peinture, photo)

Un ensemble de tâches et de spécialités (développements logiciel, interaction sociale, communication …)

Ce que vous faites

Vous « possédez » un savoir-faire et l'exploitez

Vous « contribuez » au sein d’équipes élargies

Comment l'artiste est considéré

Producteur d'objets artistiques reconnus et circonscrits

Initiateur et contributeur de concepts à mettre en œuvre (propriété des tâches et projets au sein d’une équipe)

Comment peut-on envisager la progression d'une carrière

Œuvre de mieux en mieux reconnues et pièces qui se vendent en proportion

Spécialisation et expérience accrues, projets publics de plus en plus larges et ouverts

Comment vous êtes reconnu(s)

Par la cote de vos œuvres sur le marché

Par l'impact public de vos projets, la reconnaissance par vos pairs de vos résultats, compétences et par la sollicitation de vos compétences

Rôle dans l’encadrement

Diriger un/des assistant(s)

Monter et mener des équipes, contribuer, inspirer, encourager et coacher autrui

Comment vous y parvenez

En ayant plus de productivité, en répondant au marché

En approfondissant vos compétences, en améliorant les projets et en réalisant plus de tâches au sein de ceux-ci

Outils et instruments de travail

Appareillage conventionnel (pigments & palette, marteau & burin, appareil photo...)

Modèles capacitaires, outils de partage de connaissances, réseaux sociaux, marketing viral, adaptation constante des moyens aux projets


Les compétences les plus demandées :

  • Innovation ;
  • Relations aux commanditaires, force de conviction ;
  • Maîtrise du numérique.

Les aptitudes indispensables :

  • Travail en équipe ;
  • Gestion du stress ;
  • Adaptabilité.

Des modalités de travail qui évoluent vers :

  • Du télétravail ;
  • De l’entrepreneuriat ;
  • Du multi-emploi.

« Parmi les métiers les plus concernés par la montée en puissance du travail indépendant, figurent ceux à caractère créatif ou intellectuel, où la demande en main-d’œuvre ponctuelle est historiquement forte. Ce sont ces métiers créatifs qui ont initié le phénomène des « slashers » : des indépendants qui exercent deux activités parfois très différentes (journaliste/céramiste, graphiste/correcteur), savent gérer leur réseau pour vendre leurs prestations, et tirent parti de leur indépendance." "La révolution des métiers", étude diffusée par Ernst&Young et Linked In en 2014.

Bref, le professionnel idéal

  • Est « agile » et capable :
    • d’apprendre de façon continue,
    • de communiquer efficacement,
    • d’être réactif et serein face au changement et dans des environnements complexes,
    • de travailler en équipe,
    • de maîtriser les nouvelles technologies.
  • rebondit de performances en projets selon une mobilité horizontale plutôt qu'en occupant une niche artistique liée à un seul savoir-faire.
  • valorise ses softs skills (expression écrite et orale, comportement en collectif – ténacité, dynamisme, curiosité, ouverture d’esprit, sens de l’innovation- communication interpersonnelle), autant que ses compétences techniques et une connaissance sectorielle.

Tentative de classification

À l'instar de l'environnement toujours plus complexe dans lequel les entreprises évoluent, l'artiste, lui aussi est confronté à des dispositifs créatifs plus complexes parce que pluridisciplinaires, multimédia, portés par des équipes multilingues, sur des temps de montages longs ou à durée peu déterminée au moment de la conception, et exigeant de plus en plus une interaction avec des publics variés. La question posée n'est donc plus celle du pourquoi de la co-création mais bien plutôt celle du comment. Si les processus de création artistique ne sont pas tous aussi complexes, ils sont désormais tous le fruit d'une collaboration même minimale.

Nous proposons donc 5 niveaux de gradation entre ces 2 extrêmes : de la simple consultation à la véritable co-création.

1. Consultation
L'artiste fait réagir un entourage, un public, des techniciens sur un concept ou une réalisation et décide seul de modifier ou pas son idée de départ.
2. Interactivité
L'artiste conçoit un dispositif finalisé et laisse différentes possibilités au public d'agir dessus.
3. Contribution
L'artiste conçoit un dispositif finalisé qu'il propose à des publics ou des techniciens d'enrichir ou d'augmenter.
4. Collaboration
L'artiste propose un cadre et une vision qu'il ouvre à des publics ou des techniciens et la création est le fruit du groupe ainsi constitué.
5. Co-création
L'artiste est à l'initiative d'un collectif qui décide ensemble de ses objectifs et de ses modalités. La création peut être une réalisation matérielle ou résider dans le processus même de co-création.

Enfin, on désignerait par coopération, le travail entre différents collectifs.

Listage de compétences

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Ces 5 niveaux participatifs mettent en œuvre des compétences différentes selon qu'on se place du côté de l'artiste à l'initiative du projet (à défaut d’œuvre finie!) ou du côté de l'artiste, du public, du technicien qui rejoint le collectif.


Ainsi, par exemple, au niveau 1, la capacité à énoncer clairement une idée est décisive si on veut pouvoir collecter des retours pertinents. A contrario, il est aussi décisif d'être capable d'entendre une critique, de faire preuve de résilience, voire de distance si tous les avis sont positifs mais peu nourris. Du côté de celui qui est consulté, il faut savoir argumenter un point de vue tout en acceptant qu'il ne soit pas forcément pris en compte.


Voici donc pour chacun des niveaux, le type de compétences associées (celles-ci sont cumulatives) :

Artiste Participant

Interactivité

Faire preuve d' empathie

Accepter le détournement

Accepter l'incertitude

Se mettre en position d'agir

Contribution

Définir des objectifs

Définir des tâches

Identifier les ressources nécessaires

Mobiliser des contributeurs

Assigner des rôles

Valoriser des contributions

Identifier clairement le périmètre de sa contribution

Exprimer ses motivations

Connaître ses compétences

Rendre compte

Ce que vous faites

Vous « possédez » un savoir-faire et l'exploitez

Vous « contribuez » au sein d’équipes élargies

Collaboration

Partager une vision

Faire confiance

Faciliter l'expression de chacun

Valoriser la diversité de points de vue

Se remettre en question

Résoudre les conflits

Faire preuve d'initiative

Etre autonome

Ne pas prendre les choses personnellement

Convertir les contraintes en opportunités

Comment peut-on envisager la progression d'une carrière

Œuvre de mieux en mieux reconnues et pièces qui se vendent en proportion

Spécialisation et expérience accrues, projets publics de plus en plus larges et ouverts

Co-création

Partager ses idées et ressources

Soutenir le collectif avant son intérêt personnel

Accepter qu'une œuvre nous échappe

Prendre en compte les personnalités des autres pour interagir avec eux

S'approprier une démarche pour la relayer vers d'autres

Mobiliser des ressources complémentaires

De la diversité des relations au sein d'un projet collectif

Quels types de relation l'artiste noue-t-il au sein d'une démarche collective ? Le premier type de relation peut être contractuel et donner lieu à une rémunération financière. L'artiste monte un projet collectif car il a besoin de compétences qu'il ne détient pas et les «achète» auprès d'autres artistes ou techniciens. A l'autre bout du spectre, l'artiste embarque des personnalités bénévoles portées par une vision qu'elles vont nourrir. Ces deux cas extrêmes permettent déjà de dessiner deux polarités de gouvernance aux logiques inverses : très centralisée et verticale dans le premier cas et partagée et horizontale dans le second. La transaction financière n'inscrit pas forcément les relations dans l'une ou l'autre des polarités. En effet, on pourrait penser qu'elle oblige à un effort de contractualisation et donc de définition de la nature de la participation de chacun, or cette conséquence est loin de se vérifier. Et surtout, la qualité de la gestion de projet et du travail en équipe ne peuvent être garantis ni par l'un ou l'autre des modes de relation ou de gouvernance. Delaconsultationalacocreationconcentrique aplatie petit.png

De la nature de l’œuvre

Parallèlement, la nature de la participation peut amener à identifier deux types d'œuvres également : celle qui résidera dans la réalisation d'une production finale, d'un objet ou bien celle qui tiendra au processus vécu, à l'émergence d'une situation, à l'expérience d'une transformation.
Et au-delà du processus de création collective, nous pouvons aussi imaginer qu'une licence libre soit accordée à l’œuvre autorisant des modifications par tous, en tous temps. Quid du final cut ?

De la participation des publics

Il en va de même pour l'œuvre, constituée de deux objets sémiotiques différents : l'œuvre amont – le programme tout en potentialité - et l'œuvre aval, telle que le spectateur la fait surgir du présent singulier et non réitérable de son action.

Le spectateur devient alors une sorte de « coauteur » responsable plus ou moins partiellement de l'œuvre aval, de sa croissance ou, éventuellement, de sa disparition. Sans ce coauteur, l'œuvre demeure pure potentialité, ni morte ni vivante, juste dans l'attente de son actualisation.

Hilliaire et Couchot, in L'art numérique, Paris, Flammarion, 2003

De plus en plus de projets, objets de commandes publiques par exemple, imposent une démarche participative. Cette apparente contrainte peut devenir une véritable opportunité si elle est considérée très en amont de la conception : qu'elle soit intégrée au processus de création ou prise en compte seulement dans un objet final. La logique d'instrumentalisation des uns au service des autres n'est pas exclue mais ne fonctionne que si elle est clairement affichée et acceptée par toutes les parties prenantes. Par contre, si l'enjeu consiste à créer les conditions d'un échange où chacun trouve son compte, la participation doit être gratifiante pour tous. Quel système d'incitations penser ? Gagner la confiance est un préalable indispensable même pour une participation simplement consultative. L'artiste doit pouvoir non seulement imaginer mais aussi faire la preuve tangible de « l'intérêt » de la participation en établissant des indicateurs pertinents.
Et pour convaincre, il ne peut pas se limiter à 2 alternatives : participer ou pas. Il lui faut proposer différentes modalités participatives en fonction des différents types ou niveaux de motivation. Et présenter explicitement les motivations artistiques d'une démarche ouverte. Enfin, dans une logique d'appropriation par des tiers d'une initiative, on peut coupler les bénéfices de la participation avec des impacts à priori complètement exogènes à la démarche, de sorte que les participants poursuivent le processus parce qu'ils trouvent un intérêt ailleurs qu'au point de départ et qu'ils veulent en conserver les acquis.

Les outils disponibles

Pris dans un jeu d'obligations autres que celles qui sont liées au processus de création proprement dit, tout en étant liés aux réseaux des mondes de l'art contemporain, beaucoup vivent l'Art sur la Place comme un cadre paradoxal... "On a toujours à justifier de notre travail, pour les uns, pour les autres...T'as des comptes à rendre à la biennale, à la structure avec laquelle tu bosses, c'est compliqué parce que les critères d'évaluation ne sont pas clairs, alors si en plus on nous fout un ethnologue sur le dos, tu comprends, ça fait beaucoup" expliquait un artiste. Notre présence renforçait l’inconfort de cette ambiguïté concernant les critères d’évaluation de ces actions. Pourquoi "le grand évaluateur" (telle qu'est perçue la D.A.P.)* choisit-il des ethnologues incompétents en art contemporain pour rendre compte de leur démarche ? Qu'est ce qu'ils évaluent, restituent ? [...] pour les acteurs de la politique de la ville, il s'agit essentiellement d'une politique de développement culturel. De ce point de vue, l'art est considéré comme un vecteur de liens sociaux, l'artiste transformé en "médiateur"... L'ethnologue, en tant qu’ « expert culturel », aurait-il pour tâche d’évaluer la qualité du tissage du lien social ? Cette présence n’entérine-t-elle pas ce risque de redéfinition de l'artiste en tant que "fonctionnaire du développement culturel" ? Ces inquiétudes révélaient ainsi la position complexe et inconfortable des plasticiens dans cet espace interstitiel à la croisée du social et de l'artistique, et la manière dont ils vivaient ce qu’ils percevaient majoritairement comme double contrainte.

  • Direction des Arts Plastiques, financeur du rapport

Ce court extrait de « Faire œuvre collective : aux frontières des mondes de l'art », rapport de recherche anthropologique dirigé par Virginie Milliot en 1999, illustre certaines des questions, polémiques, craintes posés par la question de l'évaluation. Pourquoi évaluer ? Pour rendre compte, certes, mais pas uniquement à ses commanditaires ou soutiens financiers mais à l'ensemble des personnes impliquées et visées par une démarche artistique. L'artiste peut faire le choix de les considérer toutes comme des parties prenantes pleines et entières de sa démarche, avec des degré et nature d'implication variés. Et ainsi évaluer reviendrait à formaliser un cadre permettant d'interroger le sens de son action, les effets produits sur l'ensemble des personnes touchées.

Evaluer ne signifie pas « servir la soupe » supposément attendue mais partager en amont les différentes attentes des parties prenantes, définir ensemble les rôles de chacun, de la phase de conception à celle de diffusion en associant tous les interlocuteurs nécessaires à la réalisation d'un projet artistique. De fait, l'évaluation n'est plus une sanction extérieure vécue comme un contrôle oppressif mais un outil de dialogue et de transparence sur les objectifs visés, les réalisations mais également les doutes et les incertitudes.


On peut ainsi résumer les savoir-faire à réunir pour mener à bien une co-création:

  • être à même de favoriser l'expression au sein d'un groupe ;
  • savoir prendre une décision à plusieurs ;
  • savoir organiser la répartition des tâches de manière dé-hiérarchisée ;
  • savoir rendre visuellement les réalisations comme les processus.

Les outils à notre disposition pour mener à bien ces actions sont nombreux. Ils vont en général bien au-delà de ce que l'on pratique le plus souvent, tel que le vote à scrutin majoritaire, que l'on applique le plus souvent mécaniquement. Hors, il existe un grand nombre d'alternatives. On peut ainsi mentionner les différentes méthodes de vote pondéré, dont la méthode Condorcet qui permet de s'exprimer sur toutes les propositions candidates et non plus sur une seule. Néanmoins, il apparaît que bon nombre d'organisations telles que les hackerspaces et autres collectifs issus du mouvement de la culture libre privilégient des méthodes ne faisant pas appel au vote, soit par recherche du consensus global, soit par activation d'un principe de consensus implicite et réparable (adhocracy). On a ainsi vu la figure du facilitateur, qui a été formalisée dans des processus d'écriture de logiciel ou de projets industriels, progressivement rejoindre par perfusion le monde de la culture et de la communication. Il en est ainsi de la méthode du booksprint/libérathon, mise au point par le musicien néo-zélandais Adam Hyde. Il s'agit de privilégier l'auto-organisation et l'orientation des activités de chacun au meilleur de ses envies/capacités à un modèle-/objectif préétabli. On peut citer les projets menés par le groupe d'artistes bruxellois Constant ou la floraison d'Open Ateliers dans les fablabs français.

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